Qu'est-ce que le Nord?
Dans l'histoire occidentale, le Nord constitue un espace mythologique travaillé par des siècles de figures imaginaires, à partir des récits grecs en passant par les textes bibliques, les sagas nordiques et les récits des grands explorateurs. Au XX e siècle, il représente un espace de conquête fuyant qui se défi le toujours plus haut à mesure que l'on s'en approche : ainsi conçues, les représentations du Nord n'apparaissent plus comme la simple description d'un espace géographique, mais au contraire comme un fascinant discours pluriculturel alimenté de manière singulière par différentes strates issues des cultures anciennes (la Grèce antique, les Vikings), repris par les cultures européennes (surtout en France et en Allemagne), revu par les cultures du Nord (Scandinavie, Canada, Québec, Finlande) et aujourd'hui mis en jeu par les cultures autochtones. Déterminé comme un discours et non plus comme une description, le Nord se déploie dans son épaisseur historique et, lorsqu'il est analysé dans les œuvres romanesques, dans ses fonctions narratives. Tour à tour discours utopique de reconquête du territoire, de dénonciation des fonctions de représentation, de prise de parole politique ou d'adjonction de merveilleux dans les œuvres, le Nord s'inscrit dans les textes narratifs comme une variable qui change de signification selon les périodes de l'histoire, tout en s'appuyant sur un discours universel forgé par des siècles de représentations sans contact réel avec le lieu évoqué.
Ces analyses mettent en jeu non seulement la volonté de comprendre la construction du Nord comme un espace mythique et un système discursif inventés et travaillés par les cultures du Sud, mais aussi la nécessité d’articuler à ce discours celui des cultures autochtones et inuite, lesquelles commencent à peine à prendre la parole et à déterminer leur espace culturel (premier film de fiction inuit : Atanarjuat, 2001; premier roman inuit du Nunavik : Sanaaq, 2002). Le choc des cultures initié par la prise de parole de peuples jusqu’ici définis uniquement comme des personnages de l’imaginaire s’inscrit doublement dans l’étude des représentations du Nord : d’abord comme l’apparition d’un nouvel espace discursif qui force à réexaminer l’ensemble des propositions de représentations antérieures; ensuite comme un discours qui enrichit la pluralité des points de vue sur cet imaginaire. Cette dynamique ne doit pas passer sous silence les représentations nordiques issues de territoires non autochtones (celles du Québec, du Canada, de la Scandinavie et de la Finlande, par exemple), ni celles reprises par la culture populaire (les ruées vers l’or en Alaska, le naufrage du Titanic, le père Noël, les films d’aventures de l’Arctique, etc.). De plus, le mélange d’aspects populaires et d’apports de la culture restreinte ajoute à cette problématique sans empêcher la cristallisation d’éléments, de figures et de schémas (l’idée de défi physique et spirituel, la pureté blanche et froide, l’inaccessibilité, etc.) qui parcourent différentes énonciations, et qui fondent les prémisses sur lesquelles se basent autant les discours scientifiques, fictionnels que documentaires sur le Nord. Ainsi, le Nord est d’abord et avant tout compris comme un discours culturel appliqué par convention à un territoire donné dont l’épaisseur mythique et discursive dépasse largement les descriptions géographiques, et dont les frontières varient selon les époques. Pour le Québec, l’inscription dans cette réflexion rend possible l’ouverture d’axes de comparaisons jusqu’ici inexploités (notamment avec les cultures scandinaves, finlandaise et les représentations autochtones) qui permettent non seulement de mieux saisir les particularités de figures et de courants fondateurs (le coureur des bois, le régionalisme, le thème de l’hiver, les rapports avec les Autochtones), mais aussi d’ajouter à sa définition nord-américaine de langue française celle de culture nordique contemporaine, à la fois dans sa dimension populaire (films, légendes, etc.) et restreinte (poésie, arts visuels, etc.).
Le Laboratoire a publié en coopération avec le Arctic Arts Summit et des institutions en Norvège, en Suède, au Danemark, en Estonie, en Islande, en Allemagne, au Japon, au Nunavik, en République Sakha, en Russie, en Finlande, aux Îles Féroé, en Suède, en France et au Canada un essai intitulé Qu'est-ce que l'imaginaire du Nord? Principes éthiques. L'essai a fait l'objet de 15 éditions distinctes en autant de langues différentes. Chacun des livres contient un jeu différent de 7 langues du Nord et de l'Arctique, pour illustrer la nécessaire du plurilinguisme pour comprendre le monde circumpolaire. Publiés dans la collection Isberg, toutes les éditions sont disponibles à la vente en format imprimé, mais aussi en téléchargement gratuit en format pdf.
Pour consulter et télécharger l'édition en français de cet essai, suivre ce lien.