Jessee Chouinard

Jessee Chouinard

Étudiant(e)s des cycles supérieurs
Programme d'étude
Maîtrise en études littéraires
Université
Université du Québec à Montréal
Courriel
jesseechoui@hotmail.com
Titre du mémoire et/ou de la thèse

«La représentation de la violence comme outil de décolonisation dans Nirliit (2015) de Juliana Léveillé-Trudel et Croc fendu [Split Tooth] (2018, trad. fr. 2020) de Tanya Tagaq»

Sous la direction de

Résumé

Bien que la culture inuite soit marquée par la tradition orale, au cours des années 1950, les publications écrites dans les journaux et les magazines foisonnent au Nunavik et au Nunavut (Duvicq, 2019). Elles sont cependant peu remarquées dans le domaine littéraire, occupé par la parole de l’Autre (Nungak, 2018). Cet Autre peut agir en tant que locuteur qui n’a pas les mots pour exprimer une réalité, ce qui peut mener à son invisibilité ou à sa simplification. Pour lutter contre ces dernières, des mots peuvent être créés : on doit ainsi à Louis-Edmond Hamelin près de 400 néologismes pour mieux comprendre et observer le monde froid. Dans sa démarche pour rapprocher les humains de leur milieu de vie, Hamelin propose également une approche dite « holiste » du Nord qui vise à dépasser les dualités « Nord/Sud » et « Autochtones/non-Autochtones » engendrées par la domination politique coloniale (Chartier et Désy, 2014). Plus souvent erronées que justes, les représentations stéréotypées et simplifiées ne devraient pas combler l’insuffisance de connaissances ni perpétuer des préjugés en raison d’un manque d’expérience directe avec les réalités qu’elles tentent de représenter (Amossy et Herschberg Pierrot, 2021). Le Nord est un tout complexe, davantage associé au naturel qu’au culturel dans l’imaginaire social (Chartier, 2018). Cette association au monde naturel a engendré de nombreuses conséquences, dont la minimisation des discours autochtones par les colonisateurs (Hamelin, 1975). Selon Daniel Chartier, le Nord, sans frontières précises, a été incessamment repoussé pour qu’il puisse continuer à être perçu comme lointain, plus facilement imaginable qu’atteignable. Au fil du temps, un imaginaire s’est formé à la suite de l’accumulation de strates discursives provenant à la fois d’un discours interne, invisibilisé, et d’un discours externe, simplifié (Chartier, 2018). Chartier suggère de penser le Nord par l’imaginaire et propose conséquemment un programme pour « recomplexifier » l’Arctique à partir de principes éthiques. Ces propositions méthodologiques, ainsi que les questions mises en lumière, nous mènent à réfléchir sur les discours sur et du Nord, plus particulièrement sur ceux produits par des femmes, qui s’intègrent à un mouvement mondial de décolonisation (Derrickson et Manuel, 2018).

Deux œuvres contemporaines, Nirliit (2015), un roman de Juliana Léveillé-Trudel, ainsi que Croc fendu [Split Tooth] (2018, trad. fr., 2020), une œuvre polymorphe de Tanya Tagaq, participent, avec sensibilité et rudesse à la fois, à la recomplexification des discours sur le Nord, en ce sens qu’elles actualisent le système de signes de l’imaginaire du Nord en ajoutant de nouvelles perceptions. À partir de ces deux textes qui constituent notre corpus, nous souhaitons montrer comment ces autrices, l’une québécoise, voyageant et travaillant au Nunavik, et l’autre inuite nunavutoise, participent à une recomplexification qui met en lumière une multitude d’enjeux sociaux et littéraires dans un contexte d’affirmation et d’éclatement (Petrone, 1988; Martin, 2012). Pour réaliser une telle analyse, nous étudierons les contextes sociohistorique et littéraire (Biron, Dumont et Nardout-Lafarge, 2007; Duvicq, 2019) qui ont mené à un plus grand intérêt des discours sur le Nord (Hamelin, 1975; McGrath, 1984; Chartier, 2018). Ensuite, nous nous pencherons sur les caractéristiques contemporaines de ces œuvres, telles que l’hybridité des formes (Dion, 2018) et le fragment (Ledoux-Beaugrand, 2013) en vue d’en faire ressortir des enjeux écoféministes (D’Eaubonne, 1974; Hache, 2016; Casselot et al., 2017) et décoloniaux (Bardholph, 2001; Mills et al., 2003; Jeannotte, Lamy et St-Amand, 2018). Nous posons donc comme hypothèse que ces deux œuvres arrivent à rompre le cycle de la violence issue du colonialisme par le biais de leurs représentations de la violence coloniale, interpersonnelle et environnementale, en frappant l’imaginaire du lectorat afin de faire prendre acte d’un environnement détruit et destructeur (Watt-Cloutier, 2019).